Câest un fait, lâĂ©cosystĂšme de la tech africaine se porte bien. Il sâest mĂȘme dĂ©veloppĂ© plus rapidement que tous les autres marchĂ©s mondiaux en 2022, rĂ©vĂšle un rapport de Partech Africa, le principal fonds de capital-risque consacrĂ© aux start-up technologiques du continent. Mieux, le seuil symbolique de 5milliards de dollars levĂ©s en 2022 devrait ĂȘtre dĂ©passĂ© cette annĂ©e. Pour continuer sur cette lancĂ©e et sĂ©curiser les investissements existants, les Ă©tats africains nâont plus dâautre choix que dâencadrer juridiquement lâusage des donnĂ©es personnelles.
Cela ouvre un vaste champ dâaction aux avocats qui travaillent sur le continent. Dans le domaine de la tech, leur accompagnement est multiforme. « Les avocats conseillent les gĂ©ants du numĂ©rique dans leurs relations avec les incubateurs, puis avec les start-up », explique Danielle Moukouri Djengue, Managing Partner au cabinet D. MOUKOURI & Partners et avocate aux barreaux du Cameroun et du Nigeria. Un exemple, parmi dâautres : le groupe Orange, prĂ©sent dans seize pays dâAfrique francophone, a lancĂ© des Orange Digital Centers, liĂ©s Ă des incubateurs de start-up.
Mais les avocats sont aussi en premiĂšre ligne, aux cĂŽtĂ©s des jeunes pousses, pour les aider Ă structurer leur capital, Ă se positionner sur le marchĂ© et, bien Ă©videmment, Ă se mettre en conformitĂ© avec la lĂ©gislation, en particulier celle qui porte sur la protection des donnĂ©es personnelles. « Le pendant de la protection des donnĂ©es est la cybersĂ©curitĂ©. Lâinvestissement dans lâinnovation ne peut se faire sans un cadre sĂ©curisant », rappelle Lina Fassi-Fihri, avocate au barreau de Casablanca et associĂ©e du cabinet LPA-CGR.
Lorsque le secteur est régulé, les juristes veillent à ce que les start-ups appliquent correctement les normes.
La filiale dâAlibaba au Rwanda, par exemple, a investi dans des solutions dâe-paiement. Or il nâexistait pas de lĂ©gislation propre Ă la protection des donnĂ©es personnelles. Il yâavait, en revanche, des dispositions dissĂ©minĂ©es dans trois lois distinctes. De quoi sây perdre. La crĂ©ation dâune entreprise locale pour vendre cette solution dâe-paiement sans transfĂ©rer les donnĂ©es Ă lâĂ©tranger Ă©tait, notamment imposĂ©e.
Un enjeu mondial
PrĂ©curseur, lâUnion Africaine (UA) a promulguĂ©, le 27 juin 2014, la Convention de Malabo sur la cybersĂ©curitĂ© et la protection des donnĂ©es personnelles, un instrument continental de coopĂ©ration que seuls les Etats membres de lâUA peuvent ratifier. Neuf ans plus tard, treize dâentre eux lâont fait : lâAngola, le Cap-Vert, le Ghana, la GuinĂ©e, Maurice, le Mozambique, la Namibie, le Niger, le Rwanda, la RDC, le SĂ©nĂ©gal, le Togo et la Zambie. Huit autres (le BĂ©nin, les Comores, la GuinĂ©e-Bissau, la Mauritanie, la Sierra Leone, Sao TomĂ©-et-Principe, le Tchad et la Tunisie) lâont signĂ©e mais pas encore ratifiĂ©e.
En dĂ©pit de ce faible taux de ratification, la majoritĂ© des Etats dâorganise pour doter le continent dâun cadre lĂ©gal sur les donnĂ©es personnelles. « La protection des donnĂ©es est devenue un enjeu mondial. Un pays qui nâa pas de rĂ©glementation spĂ©cifique peut ĂȘtre moins attrayant pour les investisseurs Ă©trangers dont le modĂšle Ă©conomique repose sur lâexploitation des donnĂ©es », constate Danielle Moukouri Djengue. Pourtant, souligne Alexandra Neri, associĂ©e au cabinet Herbert Smith Freehills, depuis quelques annĂ©es, plusieurs fonds et des acteurs mondiaux du numĂ©rique se sont tournĂ©s vers le continent. « Le dĂ©veloppement de lâinnovation et de la technologie en Afrique doit beaucoup aux investisseurs Ă©trangers », confirme lâavocate.
LâEurope, source dâinspiration
Le rĂšglement europĂ©en de protection des donnĂ©es personnelles (RGPD) est une source dâinspiration pour les Etats africains et rassure les investisseurs Ă©trangers, dĂ©jĂ familiers de ses mĂ©canismes. MĂȘme les pays anglophones ont dĂ» sây mettre. « Chez eux, lâinnovation dans les produits financiers est plus dynamique que dans les pays francophones, mais ils ont Ă©tĂ© rattrapĂ©s par le besoin de rĂ©gulation des donnĂ©es personnelles », indique Lina Fassi-Fihri.
Lorsquâil nây a aucun cadre lĂ©gal, tout lâĂ©cosystĂšme est Ă construire. Câest ce quâil sâest passĂ© au Cameroun, oĂč le financement participatif sâest largement dĂ©mocratisĂ© Ă partir de 2019. La start-up Leelou Baby Food a, par exemple, bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun crowdfunding de 100 millions de FCFA (environ 153 000 euros). Or, Ă cette Ă©poque, ce systĂšme de financement nâĂ©tait pas rĂ©glementĂ©.
« Lorsquâil yâavait un vide juridique, le rĂ©gulateur avait du mal Ă sanctionner objectivement les plateformes de crowdfunding », explique Danielle Moukouri Djengue. Finalement, en juin 2023, la Commission de Surveillance du MarchĂ© Financier de lâAfrique Centrale (COSUMAF) a Ă©mis une sĂ©rie de recommandations Ă lâintention des acteurs du secteur.
« Lâinnovation a dĂ©bouchĂ© sur lâadoption dâune rĂšglementation spĂ©cifique portant sur les conditions dâexercice, en zone CEMAC, de la profession de conseiller en financement participatif », se rĂ©jouit lâavocate, spĂ©cialiste de data. Le dynamisme de la tech pousse le secteur Ă se rĂ©guler dans un cadre plus sĂ©curisant, un processus au sein duquel les avocats ont toute leur place.
Auteur : Delphine Iweins
Contributrices
Danielle MOUKOURI DJENGUE Associé Gérante du Cabinet D.MOUKOURI AND PARTNERS
Lina Fassi-Fihri, avocate au barreau de Casablanca et associée du cabinet LPA-CGR.
Alexandra Neri, associée au cabinet Herbert Smith Freehills